filmo est l’initiative des Journées de Soleure, qui a déjà mis en circulation plus d’une centaine de classiques du cinéma suisse accessibles en streaming. Aux 57es Journées de Soleure et en avant-première de la prochaine saison de filmo, on pourra voir le film «Vollmond», datant de 1998, dont le réalisateur, Fredi Murer, a eu la possibilité de refaire le montage. Il nous parle de la genèse de son film et de sa version director’s cut.
Comment en est-on arrivé à cette version director’s cut de «Vollmond»?
Je vois commencer par rappeler que mon film a sommeillé depuis 23 ans dans les chambres froides de la Cinémathèque suisse, logé dans des boîtes pour pellicule de 35mm, en attendant le nirvana. Grâce à la clairvoyance de l’experte de filmo Anaïs Emery, directrice artistique du Geneva International Film Festival, «Vollmond» a pour ainsi dire été ramené à la vie, parce qu’elle a proposé de le numériser. Cette bonne nouvelle m’a à la fois étonné et réjoui. Quoi qu’il en soit, cette numérisation n’avait de sens pour moi que si je pouvais profiter de l’occasion pour faire une version director’s cut.
Pourquoi est-ce que c’était si important pour toi?
La version originale durait 2 heures et 30 minutes. Cette longueur éprouvante pour nos habitudes visuelles d’aujourd’hui découlait du fait que le projet original, «Zweimal die ganze Wahrheit» (Deux fois toute la vérité), consistait en deux films distincts qui devaient sortir simultanément dans les salles. Les deux films se fondaient sur la même histoire: une nuit de pleine lune, 12 enfants disparaissent aux quatre coins de la Suisse sans laisser de traces et posent un ultimatum à leurs parents. Un des films devait raconter l’histoire du point de vue des parents concernés, l’autre du point de vue des enfants disparus. Malheureusement, ce projet en deux volets n’a pas abouti, pour des raisons financières. C’est pourquoi j’ai cherché à caser de force le plus d’éléments possible de la perspective enfantine dans le film sur les parents.
Ce qui a fait qu’il était surchargé?
Exact ! Dans la version director’s cut, j’ai donc essayé autant que possible de supprimer ce coup de force passé. Par conséquent, le film a été à présent raccourci de 35 minutes.
Où se serait déroulé le second film qui n’a pas été réalisé?
Le lieu où les enfants se seraient cachés pour se soustraire aux parents aurait été une espèce d’arche imaginaire. Les locaux intérieurs auraient dû être construits en studio alors que l’arche elle-même aurait vogué sur un lac. Cette île flottante aurait été construite en bois, tout à fait façon Suisse primitive, tandis que l’artiste japonais Tadashi Kawamata aurait été responsable de la construction extérieure à base de poutres et de planches. Les 12 enfants auraient tenu leurs Landsgemeinden à l’intérieur de l’île flottante, une sorte de «Club de Rome» dans leur optique enfantine. Et la nuit, ils auraient quitté leur arche pour entreprendre des excursions militantes sur la terre ferme.
Qu’est-ce qui a finalement donné le coup de grâce à ce second film?
Le projet en deux volets n’avait pas seulement pour nom «Zweimal die ganze Wahrheit», mais il aurait aussi multiplié le budget par deux pour arriver à 7 millions. C’est la raison pour laquelle «Vollmond» était une coproduction helvético-germano-française. Secrètement, les partenaires allemands et français n’ont pourtant toujours eu d’intérêt que pour un film unique. Malgré son grand engagement, Marcel Hoehn, le producteur de la société T&C Film AG, ne pouvait pas assurer le financement à lui tout seul.
Comment as-tu réagi à ce revers en tant que scénariste et réalisateur?
Mon credo a toujours été: deux films ou aucun. Cependant, après tant d’investissement en travail, en imagination et en argent, il nous fallait au moins réaliser un film, pour des raisons économiques. Il a tout de même enregistré ensuite 70’000 entrées en Suisse.
Un succès respectable pour les conditions qui sont les nôtres aujourd’hui.
«Höhenfeuer» avait enregistré 250’00 entrées, «Vitus» plus de 300’000. Sous cet angle, ça a plutôt été un échec pour moi.
Qu’est-ce que tu as modifié pour l’essentiel?
Quand leurs propres enfants disparaissent sans laisser de traces, c’est sans doute la pire des choses pour les parents concernés. Il est facile de comprendre que les parents cherchent les coupables partout, mais ne se sentent pas coupables eux-mêmes. Il n’en va pas autrement des 12 couples de parents du film. Grâce à cette nouvelle version montée par le réalisateur, j’ai voulu donner un peu plus de poids à cette manière de se comporter face à une crise. A cette occasion, je n’ai pas seulement supprimé des plans qui me tenaient à cœur mais j’ai aussi laissé tomber des séquences entières qui ne me paraissaient plus correspondre à mes intentions. J’ai en outre accéléré de manière générale le montage, en raccourcissant certaines scènes ou en les changeant de place. De ce fait, c’est une nouvelle dramaturgie qui est entrée en jeu.
Tu as donc aussi effectué des transformations.
Je parlerais plutôt de réduction et de condensation. Avec le recul de 25 ans, j’ai pu m’attaquer en toute liberté au matériel monté autrefois, et débarrassé du fardeau du passé, comme si j’étais un étranger. Pour certaines séquences, j’ai même été carrément surpris ou au moins étonné de les avoir écrites et mises en scène moi-même.
Comment est-ce que cela s’est déroulé du point de vue artisanal?
La base de la version director’s cut a été la version originale digitalisée de 150 minutes, y compris les bandes magnétiques séparées: la langue, les bruits et la musique. J’avais un fichier avec le timecode à disposition, à partir duquel j’ai imaginé les changements fondamentaux et noté les timecodes correspondants. Pour le nouveau montage proprement dit, je me suis assis à la table de montage de mon ami, le réalisateur Edwin Beeler, quatre jours durant. Et c’est Renzo d’Alberto et sa main magique qui se sont occupés du nouveau mixage audio.
Comment le film a-t-il vieilli à ton avis?
Étonnamment bien. J’ai l’habitude de dire que les films sont toujours aussi les enfants de l’esprit du temps. Cela s’applique également à «Vollmond». On constate avec une légère irritation que le téléphone portable n’avait pas encore été inventé à l’époque et que la seule chaîne de télévision privée était «Tele 24» de Schawinski, à laquelle je fais allusion dans mon film sous le nom fictif de «life-TV». D’un autre côté, à la manière d’un fantôme, «Vollmond» fait sur moi l’effet qu’aurait une utopie. Non pas parce que les revendications radicales que les enfants nous adressent à nous adultes paraissent utopiques mais parce que rien, absolument rien de substantiel n’a changé ces 25 dernières années en ce qui concerne l’environnement, ni dans les réflexions ni dans les actions. Et cela quels que soient les milieux de la société pris en considération, moi compris. Dans ma longue vie, rien n’a jamais changé en bien par la prise de conscience et la raison, mais toujours et uniquement par la souffrance.
A l’époque, y a-t-il eu un fait d’actualité expliquant les revendications écologiques des enfants?
Oui, en tout cas les revendications de mes filles à mon adresse s’en inspiraient, en 1986, quand la catastrophe nucléaire de Tchernobyl s’est produite. Lorsqu’elles sont rentrées de l’école, elles m’ont dit: «Maintenant, tu dois faire un film sur la dangerosité des adultes.» Il s’est toutefois écoulé dix ans avant que je m’acquitte de la mission qu’elles m’avaient donnée, et «Vollmond» n’est sorti dans les salles de cinéma que peu avant la fin du millénaire. Aujourd’hui, la jeunesse qui se bat pour le climat descend dans la rue sous la bannière des Fridays for Future. Avec un brin d’imagination et de bonne volonté, on pourrait considérer que «Vollmond» est un signe avant-coureur de ce mouvement.
Note de bas de page
La projection du Director's Cut de «Vollmond» aura lieu le vendredi 21 janvier 2022, à 21 heures, au cinéma Capitol. D’autres avant-premières numériques de filmo sont à l’affiche des 57es Journées de Soleure: les documentaires «Klingenhof» de Beatrice Michel (cinéma Uferbau, mardi 25.1., 15h), «Magic Matterhorn» d'Anka Schmid (Palace, jeudi 20.1., 18h15) et «Tanz der blauen Vögel» de Lisa Fässler (Palace, jeudi 20.1., 20h45), qui passe dans le programme «Rencontre: Jürg Hassler».
Les quatre films font partie de la 12e saison de filmo.ch, qui débutera le 3 février 2022. «Klingenhof» a été numérisé par filmo. Les autres avant-premières numériques ont été restaurées et numérisées par filmo en collaboration avec la Cinémathèque suisse.
filmo est une initiative des Journées de Soleure, rendue possible par le Fonds pionnier Migros.
Cliquez ici pour voir les bandes-annonces en avant-première:
Vollmond (Director’s Cut)