«Immortals» de Maja Tschumi

Nous nous sommes décidés pour un film sauvage.

Le film nous amène dans un pays dont on ne parle plus beaucoup, las que nous sommes d’images de Bagdad ensanglantée. Ce film emprunte un chemin inédit, avec des images, des personnages et des histoires que nous n’avons encore jamais vus ainsi.

Au début du film, nous la prenons pour un garçon, avec son pull à capuche, ses cheveux courts, sa démarche décidée. Puis elle découvre son visage. C’est celui d’une femme – une femme belle, vulnérable, blessée, défiante. Pour pouvoir sortir de chez elle sans être importunée, la femme Milo devient l’homme Milo. Un être qui est entre les deux sexes et qui veut juste être libre.

Milo défend son identité parce que c’est plus fort qu’elle. Même si cela met sa vie en danger, elle se soustrait jour après jour à l’exiguïté oppressante du foyer familial. Elle sort retrouver son amie pour cuisiner des pâtes ou s’asseoir sur les rives du Tigre. Leur proximité est intime et inconditionnelle. Si tu étais une ville, laquelle serais-tu? Devons-nous rester ou partir? Voilà le genre de questions qu’elles se posent. Elles sont inquiètes. Beaucoup de gens sont morts, beaucoup de gens meurent, des gens comme Milo, des gens différents, qui veulent vivre autrement. Dans une ville comme Bagdad, les gens comme ça meurent vite. Leur vie est en danger. Nous aussi, nous craignons pour elle. S’en sortira-t-elle ? Va-t-elle survivre, s’adapter, ou rester telle qu’elle est? Pourra-t-elle continuer à suivre le chemin que son âme lui indique?

Khalili, marqué par un traumatisme, est une autre de ces figures marginales. Lui se retrouve en regardant à travers un objectif. GoPro, téléphone portable et appareil photo en main, il documente ce qui se passe autour de lui pendant la révolution. Il veut montrer au monde ce qui se passe dans son pays.

Il est blessé, se relève, reprend la caméra, est à nouveau blessé, se relève une nouvelle fois. Documenter devient pour lui un acte de résistance. Lorsqu’il se marie, on croit à un tournant. Il met la caméra dans son sac à dos, range le sac dans l’armoire. Mais il y a un nouveau soulèvement, la télévision en parle. Khalili ouvre la porte de l’armoire et en sort son sac à dos. C’est plus fort que lui. Comme pour Milo.

Le courage des deux protagonistes – des trois, en réalité – est réjouissant. Ce ne sont pas des héros, mais ils sont héroïques. Dans ce film, la lutte pour la liberté intérieure et le combat contre l’oppression, le paternalisme et l’ingérence sont entremêlés de façon très particulière, sauvage et libre comme les protagonistes. La révolte intérieure et extérieure ne font qu’un.

La narration non linéaire du film nous plonge au cœur du conflit entre les manifestant.e.s et les forces de l’ordre. Nous vivons de près la colère des insurgé.e.s et les tirs à balles réelles dont ils sont la cible. C’est une expérience émotionnelle intense, comparable à celle du jeune saxophoniste irakien qui joue au milieu de l’action, et que ni le gaz lacrymogène, ni les tirs n’arrêtent.

La non-linéarité du récit, le mix d’images de sources disparates, le réalisme des situations auxquelles viennent se mêler des scènes de fiction, et la bande-son immersive contribuent à la signature artistique audacieuse de ce film et à l’empathie qu’il nous donne à ressentir envers ses personnages.

Esthétique et narration font cause commune. Les auteurs.trices nous font partager l’espoir de leurs protagonistes et nous laissent entrevoir les aspirations de toute une génération, de tout un peuple.

Le jury attribue le «Prix de Soleure» 2025 à la réalisatrice Maja Tschumi et à la société de production Filmgerberei GmbH pour leur film «Immortals».